Apprendre mes mots en CAA
- albaneplateau
- 13 oct. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 19 oct. 2024
Comment les enfants qui parlent en CAA font-ils pour apprendre leurs mots ? En théorie, ils font comme tout le monde : nous leur parlons un langage adapté à eux, intéressant et riche juste ce qu’il faut, emplis que nous sommes de la certitude qu’ils ont eux-mêmes une foule de choses à nous dire et qu’ils sauront s’approprier par la suite tous ces mots dont les nourrissons.
Dans les faits, nos échanges avec les enfants qui parlent en CAA sont différents. En particulier parce le modèle linguistique prioritaire qu’ils reçoivent est oral : nous leur parlons majoritairement avec notre bouche. Pour interagir avec nous, les enfants doivent traduire nos mots prononcés en symboles graphiques ou gestuels.
En orthophonie, quand nous travaillons avec les enfants, il est indispensable de tenir compte de cette asymétrie afin de la réduire au maximum et de leur offrir les meilleures stratégies pour développer leur langage. Mais que sait-on de ces “meilleures stratégies” ?
Yvonne Lynch, qui est chercheuse en orthophonie à la Manchester Metropolitan University, a travaillé sur cette question avec Muireann McCleary et Martine Smith. Elle a réalisé une revue systématique des données de la littérature
· disponibles entre 1995 et 2016,
· publiées en anglais et revues par les pairs
· impliquant des enfants âgés de 0 à 18 ans, présentant un écart entre leur expression entravée par différents défis et leur compréhension bien meilleure et donc justifiant la mobilisation d’une CAA pour combler cet écart ne faisant pas face à un trouble de la communication sociale (ce qui signifie que les enfants autistes n’ont pas été intégrés à cette revue)
· mettant en œuvre des interventions directes visant à soutenir l’apprentissage des symboles graphiques et du langage assisté.
15 études ont été retenues et analysées.
Les résultats montrent que la modélisation est la stratégie la plus efficace pour soutenir la compréhension et l’expression des symboles graphiques, mais aussi celle de symboles variés et de leurs combinaisons. Il est aussi possible qu’elle soutienne l’acquisition des structures du langage impliquant des morphèmes et différents verbes. Modéliser, c’est le fait de parler aux enfants tout en utilisant la CAA pour augmenter notre langage. Cela offre aux enfants l’opportunité d’observer l’utilisation compétente du langage avec des symboles pour communiquer, d’apprendre la signification de ces symboles dans des contextes variés, et de comprendre au fil de leur développement comment les utiliser eux-mêmes. Cependant, il y a modéliser et modéliser, et les articles ne sont pas toujours très précis concernant ce point. En particulier, seul un article définit la modélisation retenue comme ayant concerné 70% du temps consacré à échanger avec les enfants, avec un ratio assertions/questions de 80/20.
Ensuite, la mise en place d’une routine s’appuyant sur la lecture interactive (ou partagée) et s’associant à la modélisation peut aider les enfants à utiliser des symboles plus variés, à les associer, ce qui leur permet de complexifier leurs productions. On peut aussi observer une meilleure utilisation de la structure narrative par les enfants et une sélection des mots plus cohérente avec le thème des échanges. La généralisation et le maintien de ces acquisition ne sont toutefois pas systématiques.
Une approche éclectique, impliquant la fourniture d’opportunités de communiquer, la modélisation et l’utilisation hiérarchisée d’indices, a permis d’augmenter à la fois la parole et l’utilisation des symboles.
Enfin, une approche mobilisant l’entrainement à la demande précise pour enseigner la structure nom+verbe peut soutenir le développement de la syntaxe en CAA. Les enfants ont aussi pu généraliser les combinaisons de mots à d’autres contextes, sans entraînement spécifique. Toutefois, il a été également constaté un désengagement d’avec les activités mobilisées pendant les interventions.
De nombreuses questions restent en suspens, comme souvent dans le champ de l’exception qu’est la CAA. Tout d’abord, la terminologie que nous utilisons en anglais comme en français dans le champ de la CAA n’est pas stable. Cela nuit à l’identification des études ciblant ce que nous recherchons, mais également à la description précise des procédures mises en œuvre dans les études. Plus prosaïquement, cela signifie aussi que lorsque nous nous parlons de CAA, il n’est pas certain que les mots que nous utilisons veuillent bien dire la même chose pour chacun d’entre nous. Ensuite, les enfants avec des défis de communication sociale et ceux qui utilisent la CAA aussi bien pour s’exprimer ne sont pas inscrits dans cette revue. De même, les auteures pointent qu’on ne précise nulle part le stade de développement de la compétence communicative des participants. On ignore si chacune des techniques probantes mise en valeur par cette revue fonctionne à chaque stade de la compétence communicative, ni de quelle façon elle le fait.
Donc, je retiens pour ma pratique que si je veux aider les enfants à mieux comprendre les symboles graphiques afin de les utiliser pour s’exprimer avec leur CAA, je peux
· modéliser, modéliser, modéliser, c’est à dire leur parler en utilisant ma CAA pour dire des choses intéressantes, interagir avec eux, le plus souvent possible. L’objectif est d’enrichir leur fréquentation des symboles dans des environnements variés et de leur fournir un modèle adapté de la communication en CAA.
· m’appuyer sur les activités soutenant le développement de la compétence narrative et fournir un environnement riche en opportunités de communiquer. L’objectif vise à réduire l’inégalité permise par la fluidité de la parole et l’utilisation de symboles graphiques pour communiquer, en créant des contextes porteurs pour le développement de tous les domaines de la compétence communicative.
· utiliser des techniques un petit peu plus artificielles pour enseigner des structures syntaxiques précises, mais en veillant à garder la motivation de l’enfant au premier plan.
Et je continue de surveiller l’avancée de la recherche, car elle est émergente dans ce domaine.
Ref. Lynch, Y., McCleary, M., et al. (2018)., Instructional strategies used in direct AAC interventions with children to support graphic symbol learning: A systematic review, Child Language Teaching & Therapy, 34(1), 23-36.

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