Comprendre et s’exprimer quand on est autiste
- albaneplateau
- 19 oct. 2024
- 6 min de lecture
Les troubles du langage pourraient être une composante de base de l’autisme, et la compréhension est généralement plus altérée que l’expression. C’est ainsi que s’ouvre cet article de recherche d’Andrey Vyshedskiy (1), qui est neuroscientifique à l’université de Boston. Tout de suite, c’est alléchant, parce que dans la vraie vie clinique, on se rend très vite compte que comprendre le langage est un grand défi pour les personnes autistes.
Andrey Vyshedskiy a consacré de nombreuses recherches à l’autisme. En particulier, il s’est intéressé à la synthèse mentale que nous opérons pour comprendre les phrases. Chez les enfants ordinaires, cette synthèse mentale est fortement corrélée à la compréhension du vocabulaire. Mais cela ne fonctionne pas de la même façon chez les enfants autistes, et nous risquons de nous tromper si nous pensons qu’ils comprennent les phrases à la hauteur de leur compréhension des noms. Andrey Vyshedskiy a alors collaboré à la création, et à la validation, d’un questionnaire parental explorant la synthèse mentale des enfants autistes, la MSEC (2). Ce questionnaire, qui a été embarqué dans une application, en complément d’un autre outil d’évaluation. Il s’est avéré particulièrement pertinent pour affiner les cibles d’intervention auprès des enfants, principalement s’ils étaient peu ou pas oralisants et, de ce fait, peu éligibles à la mobilisation d’outils normés pour évaluer leur compréhension du langage.
La mise à disposition de ce questionnaire via une application a permis de recevoir un nombre impressionnant de retours des parents. Cela a amené les chercheurs à observer ce qui ressemblait à des regroupements de styles de compréhension chez les enfants. Afin d’étudier si cette intuition pouvait se vérifier, Vyshedskiy, Venkatesh R. et Khokhlovich E. ont donc proposé un questionnaire légèrement plus réduit, dans lequel ils ont placé des items qui pouvaient se réunir en trois groupes de styles de compréhension :
1. La compréhension des commandes se caractérise par la reconnaissance de son propre nom parmi tous les autres, une réponse adaptée à « non » ou à « Stop », et à la possibilité de suivre des consignes.
2. La compréhension des modificateurs permet de nuancer ce qui est compris des noms, en particulier de comprendre ce qui les décrit, comme la couleur, la taille ou leur nombre.
3. La compréhension syntaxique permet d’émerger à la compréhension des phrases, et donc de comprendre grâce au langage des contextes qui ne sont plus immédiatement tangibles. À terme, cela ouvre à la compréhension d’histoires de plus en plus complexes ou imaginaires, ainsi qu’aux explications d’évènements qui ne se produisent pas sous nos yeux.
Items compréhension du langage

Je ne suis pas certaine que la traduction de ces items soit directement superposable au français, parce que notre langue ne se construit pas comme l’anglais. En particulier, l’item 6 porte sur l’utilisation des superlatifs en anglais. Dans cette langue, on ajoute la terminaison -est à la fin des adjectifs pour indiquer qu’on parle de « plus quelque chose » (l’objet le plus petit, par exemple). Il s’agit pour les enfants parlant l’anglais d’une des premières prises de conscience qu’en modifiant un peu la prononciation d’un mot, on lui donne un sens différent. Le français ne fonctionne pas ainsi. Cet item aurait besoin d’être adapté aux spécificités de notre langue afin que le questionnaire demeure pertinent en français.
Néanmoins, nous pouvons tirer des résultats de cette étude, de nombreuses informations applicables à nos pratiques.
Cette étude est très robuste sur le plan statistique. Ma première conclusion, toute personnelle, est que je dois absolument améliorer mes compétences dans ce domaine pour mieux comprendre les études scientifiques. Heureusement, dans ces huit pages très denses, tout est très bien expliqué.Les questionnaires parentaux sont très fortement validés par la recherche. Recueillir l’avis des parents est aussi extrêmement précieux concernant la compréhension des enfants dont l’évaluation en cabinet peut se révéler délicate. Les auteurs rappellent que de nombreuses études montrent que les observations des parents ne diffèrent pas significativement des évaluations cliniques, et que leur profonde connaissance du fonctionnement de leur enfant est une source d’informations précieuse.
Le nombre de réponses reçues est impressionnant : 31 845 parents ont accepté de participer. Cela a permis d’étudier la compréhension d’enfants de âgés de 4 à 21 ans, dont la moyenne d’âge était de 6 ans 5 mois, +/- 2 ans 6 mois. 80% d’entre eux étaient des garçons. Les parents ont précisé le degré d’autisme de leur enfant (mais aussi le leur, quand ils étaient eux-mêmes concernés), son état de santé, ses particularités sensorielles, le développement de sa communication sociale et celui de son expression. Les phénotypes de compréhension se sont avérés être associés à la sévérité des symptômes chez les personnes autistes (santé, sensorialité, et langage expressif), mais ils n’ont pas été dépendants de l’âge des participants.
Les enfants qui pouvaient oraliser « deux mots à la fois » (c’est-à-dire assembler deux mots pour dire une phrase courte) ont été désignés comme oralisants. Ceux qui ne le pouvaient pas ont été désignés comme étant peu ou pas oralisants.
Les trois groupes de types de compréhension (nous les appellerons phénotypes) se sont révélés extrêmement robustes aussi bien en ce qui concerne la distribution des items dans le questionnaire, qu’à travers les âges ou le sexe des enfants. 40 % des enfants appartenaient au phénotype Commandes, 43% au phénotype Modificateurs, et 17 % au phénotype syntaxique. Les différences entre les trois phénotypes n’ont pas pu être expliquées par des différences entre les expositions au langage reçues par les enfants. Pour différentes raisons, les enfants n’ont pas réussi à acquérir les mécanismes sous-jacents des phénotypes supérieurs. Les auteurs en ont conclu qu’il faut maintenant comprendre quels mécanismes soutiennent chaque phénotype.
91% des enfants étaient non oralisants dans le phénotype Commandes, 68% dans le phénotype Modificateurs et 33 % dans le phénotype Syntaxique. Donc, concernant le langage expressif, les auteurs ont constaté que sa compétence n’était pas significativement parallèle à celle du langage réceptif (c’est-à-dire la compréhension). Ainsi, une personne peut être non oralisante et atteindre le phénotype de compréhension syntaxique. À l’inverse, une personne oralisante peut avoir un profil réceptif appartenant au phénotype des commandes, et, de ce fait, ne pas parvenir à communiquer de façon fonctionnelle. 41% des enfants oralisants n’ont ainsi pas appartenu au phénotype syntaxique.
Les auteurs en ont déduit que comprendre et s’exprimer quand on est autiste sont des phénomènes cliniquement différents. Et on sent là aussi que de prochaines études palpitantes vont prolonger ce travail.
Enfin, bien sûr, ils concluent leur travail en recommandant une classification bidimensionnelle pour décrire plus précisément les habiletés de communication des personnes autistes : l’habileté expressive ET le niveau de compréhension du langage.

C’est passionnant, et tellement important en clinique, quand on veut établir un programme d’intervention visant au plus près les besoins des enfants. Cependant, une autre étude récente (3) a demandé à 13 orthophonistes américaines de décrire leurs pratiques concernant l’implémentation de la CAA auprès des personnes autistes. On en retire différents éléments qui mériteraient un article spécifique. Si on se concentre sur ce qu’on y apprend concernant la compréhension, il semblerait que les orthophonistes interrogées pourraient ne pas tenir compte des capacités réceptives des personnes pour déterminer leurs cibles d’intervention concernant la CAA. C’est très embêtant maintenant qu’on a compris combien comprendre et s’exprimer, avec sa voix naturelle ou sa voix CAA, pouvait appartenir à des niveaux distincts et alors qu’on sait combien comprendre est essentiel pour communiquer efficacement.
Par ailleurs, les interlocuteurs sont « calibrés » pour ajuster le niveau de complexité du langage qu’ils adressent à la personne avec laquelle ils dialoguent en fonction du niveau auquel, elle, elle s’exprime. Si nous restons sur cette première impression avec une personne autiste qui ne parle pas, ou très peu, et dont les réactions de défense sensorielle peuvent induire des comportements nous mettant au défi, nous allons donc produire des contenus linguistiques très limités. Inversement, nous pouvons noyer une personne oralisante sous un flot de paroles qu’elle ne comprend pas. Si nous étendons cela à nos cibles thérapeutiques, il est alors très possible qu’elles ne rencontrent pas les besoins réels de la personne, lui faisant courir à terme le risque d’être sur handicapée par défaut de stimulation.
Donc, retenons-le, ce n’est pas parce qu’une personne autiste ne parle pas, ou y parvient très peu, qu’elle ne comprend pas. Elle peut aussi avoir de très grandes difficultés pour comprendre le langage. Inversement, ce n’est pas parce qu’une personne autiste parle, qu’elle comprend le langage. Mais elle peut aussi y parvenir très bien. Considérons ensemble ces deux dimensions lorsque nous établissons nos programmes d’intervention.

Références
1. Vyshedskiy, Venkatesh R. et Khokhlovich E., Are there distinct levels of language comprehension in autistic individuals – cluster analysis, Mental Health research, 2024 https://doi.org/10.1038/s44184-024-00062-1
2. Braverman J., Dunn R., Vyshedskiy A., Development of the Mental Synthesis Evaluation Checklist (MSEC) : A parent-report Tool for mental Synthesis Ability Assessment in Children with Language Delay, 2018 https://doi.org/10.3390/children5050062
3. Wendelken M., Williams D.L., Is research on Augmentative and Alternative Communication Intervention with Children With Autism Spectrum Disorder Reflected in the Clinical Practice of Speech-Language Pathologists?, Taylor and Francis, Augmentative and Alternative Communication, 7 dec. 2023 https://doi.org/10.1044/2023_PERSP-23-00022
Note. Dans cet article, j’utilise le mot « autiste » à la place de l’expression « avec un TSA » parce que c’est ainsi que mes ami.e.s, collègues, patient.e.s, connaissances, s’appellent eux.elles-mêmes. Il s’agit donc d’un choix respectant la dénomination des personnes les plus concernées et pas d’une appellation selon la terminologie scientifique. Si ces personnes déterminaient qu’un autre terme est plus adapté, je modifierai mes mots, afin de rester au plus près de leur décision.
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